La redéfinition du marché mobile

Article rédigé en collaboration avec Roman Potocki et Julien Vigé

Alors qu’au début de l’année Numéricable, Prixtel, La Poste Mobile et bien d’autres inondaient les médias et le marché de leurs nouvelles offres mobiles, les trois opérateurs historiques (Orange, SFR et Bouygues Telecom) contre-attaquent, diversifient leurs portefeuilles de marques et proposent de plus en plus d’offres intégrées (quadruple play). L’occasion pour nous de revenir sur les évolutions profondes du marché du mobile français à l’origine des nombreuses initiatives des derniers mois, ainsi que sur les perspectives de transformation du marché dans les semaines à venir.

2011, une année agitée

Aujourd’hui on constate sur le marché une tendance lourde, une transition de la voix vers la data, induite par des nouveaux usages en mobilité (web, réseaux sociaux, vidéo, musique). Le marché du mobile a fortement changé et va évoluer de manière encore plus radicale dans les années à venir. Comme nous le prédisions il y a plusieurs mois, les communications voix ne sont plus un facteur différenciant et nous nous approchons du tout illimité à bas coût. Les revenus se déplacent donc vers d’autres offres et services. En conséquence, la segmentation ne se fait plus au nombre d’heures mais à la quantité de données, le débit et l’offre de contenus associée. Le prix de base inclut de plus en plus de voix, l’illimité n’a jamais été aussi accessible. Sans même parler des SMS, presque toujours en illimité. C’est donc bien sur la data et les services associés que le marché se redéfinit.

Le consommateur est d’ailleurs déjà préparé à l’émergence de forfaits data dont le prix s’adaptera à la quantité, au débit, au type de contenu (la fin de la neutralité sur le mobile ?) voire à l’heure (heures pleines / heures creuses). La communication des opérateurs historiques, mettant en avant les niveaux d’investissement consentis à enrayer une saturation des réseaux pouvant peser sur la qualité de service, y est pour beaucoup.

Mais au-delà des nouveaux usages, l’emballement du marché peut être attribué aux nouveaux entrants qui n’hésitent pas à bousculer offres et standards. En effet, depuis quelques mois ils proposent des offres tout illimité (voix, SMS, data) à prix cassé, le tout avec des forfaits sans engagement et sans subvention des terminaux mobiles. La non-subvention des terminaux est un point capital à l’origine d’un modèle économique à part entière. En ne subventionnant pas les terminaux, ces opérateurs virtuels peuvent baisser les prix de leurs forfaits et attirer plus facilement les clients qui ne souhaitent pas forcément changer de mobile (attrait qui est d’autant plus fort de par l’absence d’engagement). Ils profitent aussi d’un coup de pouce d’ordre réglementaire : l’ARCEP (Autorité de Régulation des communications électroniques et des Postes) exerce une véritable pression sur le marché pour lutter contre l’engagement parfois abusif.

Les MVNO ont acquis une grosse part de leur parc client en proposant des forfaits à prix inférieur car ils n’ont pas eu à vendre un mobile. Cependant, il ne faut pas oublier que le terminal reste l’un des premiers critères de choix d’un opérateur mobile pour un client.  Les opérateurs historiques sont dès lors confrontés à une difficulté supplémentaire : continuer à proposer des prix de vente de terminaux accessibles, tout en restant compétitifs au niveau des forfaits, pour ne pas laisser le champ libre aux MVNO sur ce terrain.

Les opérateurs historiques réactifs

Pour les trois opérateurs historiques, l’enjeu au milieu de cette panoplie d’offres est de fidéliser les clients chèrement acquis au fil des années. En effet, si la course aux acquisitions reste d’actualité, la priorité numéro une dans ce contexte de forte concurrence sera de  garder ses clients. La réponse des opérateurs historiques aux MVNO prend donc forme depuis quelques mois, selon trois axes :

  • Le premier est de proposer des offres qui soient adaptées au besoin de chaque client (SFR avec ses “Formules Carrées” notamment) ou de capitaliser sur leur base d’abonnés Internet pour proposer des offres 4P compétitives.
  • Le deuxième consiste à mettre en avant la relation client et la qualité de leur service client de par leur présence sur tout le territoire. Il s’agit également de ne pas laisser les MVNO occuper tout l’espace médiatique. La multiplication des offres a tendance à faire oublier celles des opérateurs et à écorner leur image d’innovateurs.
  • Enfin le dernier a été de diversifier leur portefeuille de marques, via le lancement de nouvelles marques en propre, afin d’adresser de manière assez ciblée un segment de client précis. Nous parlons bien évidemment ici de B&You, marque de Bouygues Telecom lancée début Juillet, de Sosh, annoncé par Orange fin juillet et des séries RED de SFR. Ces nouvelles marques reprennent les nouveaux standards imposés par les MVNO et évoqués ci-dessus : aucun engagement pour le client, pas de subvention des terminaux et une orientation très data des forfaits. Orange, SFR et Bouygues Telecom adoptent donc sur ces marques l’agressivité commerciale des MVNO, tout en visant la potentielle cible principale de Free Mobile (attendu au plus tard pour début 2012), une population assez technophile.

Perspectives : l’arrivée de Free, une (R)évolution ?

Les premières offres tout en ligne sont apparues avec les MVNO et sont en train de se démocratiser avec les opérateurs historiques. Il est évident que c’est le modèle que choisira Free au lancement : simple et économique, il fonctionne en répartissant les efforts sur la société autant que sur les clients en concentrant tous les contacts clients sur internet, et seulement si nécessaire par téléphone. Paradoxalement, Free est en train de compléter ce modèle par une présence physique : limitée dans un premier temps, elle permettra tout de même de concurrencer les opérateurs sur la vente de terminaux, point faible du tout online, tout en travaillant leur relation client et en proposant un showroom de leurs produits, gammes et services.

Au-delà de son modèle de relation client, il reste maintenant à savoir comment Free, 4e opérateur français, va attaquer le marché. De nombreuses rumeurs ont enflammé les sites d’informations high-tech en prédisant les futurs forfaits proposés par Free. Sans rentrer dans le détail et dans l’attente d’une information plus officielle, il est très probable que le trublion attaque le marché avec une offre prix plancher autour de 6€ pour 2h de communication et qu’il chapeaute sa gamme par un tout illimité autour de 29,90€, prix emblématique pour la société. Avec un coût à la minute de 8ct en passant par le réseau d’Orange et en possédant ses propres infrastructures dans les zones les plus denses, ces offres semblent tout à fait viables. Sans oublier que Free est déjà bien installé sur le marché de l’ADSL : ils pourront capitaliser sur cette base client pour lancer leur offre mobile – une offre 4P alléchante est prévisible – et profiter de leur entrée sur un nouveau marché pour redynamiser leur croissance ADSL.

Le trublion Free, après avoir bouleversé durablement le marché de l’internet, risque de récidiver sur le mobile : en proposant du tout illimité à des prix ultra-complétifs certes, et c’est là que tout le monde l’attend, mais en proposant surtout des offres entrée de gamme à des tarifs encore jamais atteints, Free paraît bien armé pour couper l’herbe sous le pied des MVNO.

Les trois opérateurs, et les MVNO avec eux, s’en défendent : ils n’ont pas attendu Free pour innover. Pourtant le timing de leurs offres tombe au bon moment (6 mois avant le lancement de Free mobile). Et ce n’est pas leur campagne ultra agressive pour fidéliser les clients sur le long terme qui contredira ce qui est sur toutes les lèvres : Free fait peur et toutes les armes disponibles sont soit dégainées soit affutées pour affronter son arrivée, prévue début 2012. Des temps mouvementés en perspectives !

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