Quelle perception du risque dans la société ? La vision de Patrick Peretti-Watel

Agrégé en sciences sociales, Patrick Peretti-Watel est docteur en sociologie du risque et statisticien. Il a écrit de nombreux ouvrages sur le risque dans la société et a présenté, lors de l’Atelier Solucom, son point de vue sur cette thématique au cœur de nos préoccupations.

Dans un monde moins dangereux mais plus risqué, quel comportement adopte-t-on face au risque ?

Alors que notre monde est de moins en moins dangereux, nous avons aujourd’hui le sentiment de vivre dans un monde de plus en plus risqué. Risques alimentaires, écologiques, technologiques, financiers, métiers à risques, populations à risques… Le risque est omniprésent et sans cesse mis sur le devant de la scène médiatique.

Pour paraphraser le philosophe François Ewald, rien n’est en soi un risque, mais tout peut en devenir un. Le risque est plus une façon d’appréhender le réel, associée à une volonté de maîtriser l’avenir. Cette « mise en risque » progressive du monde est justement ce qui caractérise l’histoire du 20ème siècle.

Erving Goffman, sociologue américain, remarquait que les hommes, comme les animaux, oscillent en permanence entre deux états d’activité, la veille et l’alarme, passant de l’un à l’autre lorsqu’un signal attire leur attention sur un danger dans leur environnement. Pour lui, certains individus sont plus sensibles que d’autres à ces signaux et plus prompts à réagir. On pourrait dire que l’homme moderne possède les aptitudes perceptives d’une biche, toujours prête à s’effrayer, mais la réactivité d’une vache, lente à se mobiliser. Évidemment, ce décalage est anxiogène !

Pourquoi les hommes ressentent-ils le besoin d’atteindre le risque zéro ?

La « mise en risque » progressive du monde a été au 20ème siècle corrélative d’une nouvelle utopie : celle du risque zéro. L’expansion continue du risque est portée par un espoir qui peut sembler rétrospectivement un peu naïf : on a longtemps pensé que la science, grâce aux techniques du risque, allait parvenir à éradiquer certains dangers pour nous garantir une sécurité totale.

Cependant, les experts ont dû admettre que le risque nul n’existe pas, que certains risques sont rémanents, que d’autres sont concurrents, et que la réduction des uns peut renforcer les autres.

Ces dernières décennies ont également été marquées par ce que l’on appelle le principe de précaution qui, dans une certaine mesure, marque une forme de retour à l’utopie du risque zéro. Ce principe implique que « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ». Aujourd’hui est fait un usage galvaudé de ce principe de précaution, ce dernier se transformant en principe d’abstention. Il est invoqué à tort et à travers, passe outre les garde-fous posés par la loi, fait seulement mention des risques « graves et irréversibles » et n’envisage que des mesures « proportionnées », à un coût « économiquement acceptable ». Sans ces restrictions de bon sens, ce principe conduit à toujours envisager le pire, et à payer très cher pour viser un « risque zéro » hors d’atteinte.

Pourquoi le risque zéro est-il utopique et incongru ?

L’intrusion du facteur humain est une des explications de l’échec de l’utopie du risque zéro. Selon la théorie du risque homéostatique, les individus ne recherchent pas forcément le risque zéro, ils sont même prêts à s’exposer à un certain niveau de risque qu’ils jugent « acceptable », pour en retirer un bénéfice.

Plus généralement, les experts de la sécurité ont souvent tendance à se focaliser sur le risque qu’ils ont à gérer, et peinent à se rendre compte que les individus qui sont exposés à ce risque peuvent très bien avoir d’autres contraintes, d’autres risques.

Par ailleurs, ces experts doivent prendre en compte le phénomène de déni du risque qui peut être redoutable. Le déni du risque s’appuie souvent sur une stratégie de « bouc émissaire », qui consiste à mettre un risque à distance en estimant que ce risque ne concerne qu’une catégorie d’individus bien particulière, à laquelle on n’appartient pas soi-même.

 

Aujourd’hui, la gestion d’un risque, dans la société comme au sein d’une entreprise, implique au moins deux dimensions interdépendantes. D’abord une dimension technique, qui doit déterminer les coûts et les bénéfices attendus, ainsi que le degré d’acceptabilité du risque. Ensuite une dimension humaine, qui implique un dialogue avec les personnes concernées, et en particulier, au sein d’une entreprise, avec les salariés, avec les métiers, pour que leurs points de vue, leurs besoins et leurs objectifs propres soient pris en compte.

 

Lire l’article : Transformer la relation avec les métiers : une évolution nécessaire pour la filière risques

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