Législation américaine sur les « data brokers » : une influence limitée sur la gouvernance mondiale des données personnelles ?

En mai 2014, la Federal Trade Commission (FTC), l’autorité de contrôle en charge de la protection des consommateurs américains, a publié un rapport présentant les sociétés spécialisées dans la revente de données personnelles d’internautes : les data brokers. Ce rapport propose des recommandations au Congrès américain pour encadrer ces transactions. Quelles sont ces orientations ? Sont-elles nouvelles ou dans la même ligne directrice que le projet de règlement européen ?

Une législation « permissive » aux États-Unis, une opportunité pour les data brokers

Les data brokers sont des agences de courtage des données qui collectent des informations personnelles d’internautes (noms, adresses, hobbies, données de santé, etc.) provenant de sources multiples (réseaux sociaux, administrations publiques, sources commerciales, …). Ces informations sont analysées et servent à la construction de profils et de catégories. Elles sont ensuite revendues sous la forme de produits à des fins, par exemple, de marketing, de recherche sur les personnes ou de lutte contre la fraude. On estime qu’il existe 4000 data brokers aux États-Unis (Acxiom, Corelogic…), chacun pouvant détenir plusieurs centaines de milliards de données ! Un marché qui ne cesse d’augmenter, à l’ère du Big Data et de l’explosion des données en circulation. Un marché qui doit son essor au cadre législatif spécifique au continent américain.

En effet, il n’existe pas de loi générale aux États-Unis concernant les données à caractère personnel (DCP). L’approche américaine se caractérise au contraire par des dispositifs spécifiques pour chaque secteur ou domaine. Par exemple, le Privacy Act pour le secteur public ou encore le Gramm-Leach-Bliley Act pour les institutions financières. Certains principes présents sont connus en Europe comme la garantie de sécurité des données collectées, la notification en cas de vol de données et la désignation d’un responsable de traitement. Cependant dans ces législations, même au niveau fédéral, de nombreux principes comme la finalité de traitement, le droit à l’information ou le droit à la rectification tels que nous les connaissons, sont absents.

Une amorce de prise de conscience pour une législation renforcée aux États-Unis…

 La FTC s’est penchée sur la question de ce vide juridique vis-à-vis des data brokers et a livré ses recommandations dans un rapport publié en Mai 2014. L’autorité préconise des dispositions législatives, déjà présentes dans les différentes réglementations en Europe, comme le droit de rectification, le droit d’opposition, le droit à l’information et le droit d’accès. En outre, la FTC recommande aux data brokers de prendre des précautions pour renoncer à la collecte d’informations relatives à des mineurs ainsi que de considérer les enjeux de la vie privée dans toutes les étapes du traitement des données : c’est le principe du « Privacy by Design » (on retrouve d’ailleurs ces deux notions dans le projet de futur règlement européen). Ce rapport a permis de mettre sur le devant de la scène le sujet des données personnelles aux États-Unis. Cette tendance risque certainement de s’amplifier avec le discours du ministère de la Justice de l’administration Obama du 25 juin dernier qui s’est engagé à légiférer plus largement sur la protection des données personnelles.

Avant les États-Unis, d’autres pays ont légiféré… avec difficulté

 De nombreux pays ont récemment tenté de légiférer dans ce  sens,  en s’inspirant plus ou moins fortement des principes européens. C’est le cas de Singapour (le Personal Data Protection Act est entré en vigueur le 2 juillet dernier), de l’Inde (2013), du Brésil (2014), ainsi que de nombreux pays d’Afrique comme le Maroc (2009), le Gabon (2011), le Mali (2012) ou le Kenya (2014). Tous ont connu des difficultés pour imposer des mesures contraignantes de respect des DCP et pour installer durablement une autorité de contrôle indépendante. Cette tendance montre cependant l’intérêt croissant des pays « dits » émergents pour ce sujet qui n’est plus uniquement une question européenne.

L’Europe est-elle en passe d’imposer sa vision sur le traitement des DCP ?

Le sujet des données personnelles a pris une place de plus en plus importante en Europe et dans le monde au regard des différentes législations mises en place ces dernières années. Mais l’événement majeur de ces derniers mois reste la promesse américaine de légiférer plus largement sur le sujet. Promesse qui s’appuie sur des principes bien connus en Europe.
En conséquence, un deuxième modèle concurrent de protection des DCP vient-il s’ajouter au modèle européen ou l’Europe est-elle en train de réussir à imposer sa vision sur les données personnelles face au modèle américain ? Le paysage législatif mondial de demain est encore flou, mais pour autant les recommandations de la FTC sur les data brokers semblent plus s’inscrire dans une optique européenne de protection que dans la logique permissive historique outre atlantique.

Rien ne semble encore joué, mais les orientations prises par cette législation sur les data brokers, les dernières négociations autour du Safe Harbor ou de l’USA FREEDOM Act et les récentes condamnations de Google semblent montrer que la Vieille Europe est plutôt sur la bonne voie…

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