Informatique quantique et sécurité : menace ou opportunité ?

Depuis des années, des chercheurs partout dans le monde, ainsi que les plus grandes entreprises de technologies, parmi lesquelles IBM, Google et Microsoft, s’échinent à mettre au point un ordinateur quantique. Cette technologie pourrait résoudre des problèmes mathématiques complexes et insolubles pour les ordinateurs classiques, promettant d’offrir des ordinateurs capables d’aller théoriquement des millions de fois plus rapidement que nos serveurs actuels, révolutionnant ainsi l’ère du numérique. Face aux exploits prometteurs et très attendus de l’informatique quantique, la construction d’une telle machine pose un réel défi en matière de cybersécurité.

 

Qu’est-ce que l’informatique quantique et pourquoi s’y intéresser ?

La manière dont les ordinateurs sont encore très majoritairement conçus aujourd’hui repose sur une architecture principalement séquentielle : les opérations sont effectuées par l’ordinateur les unes après les autres, selon un programme d’instructions écrit par l’homme. Le micro-processeur exécute alors les opérations de façon quasi séquentielle, et c’est ici l’une des principales faiblesses de cette architecture et de ses variantes.

L’informatique quantique viendrait alors combler cette faiblesse en proposant des machines dotées d’une faculté de parallélisme, permettant d’augmenter considérablement la puissance de calculs complexes, la rapidité de traitement et la capacité (théorique) de stockage. Cette technologie s’appuie sur le phénomène de superposition d’états quantiques pour développer des capacités de calcul beaucoup plus importantes que l’informatique classique. En effet, l’information est représentée par des « quantum bits » (qubit) similaires aux bits binaires utilisés dans l’informatique numérique. Pour rappel, le bit peut prendre deux valeurs, 0 ou 1 selon l’état du transistor. Le qubit, peut avoir trois états, le 1, le 0 mais aussi les deux à la fois : c’est ce qu’on appelle la superposition.

 

 

Cette capacité de superposition multiplierait le nombre d’opérations complexes réalisables dans un temps limité. Ainsi, là où le traitement d’informations volumineuses peut parfois prendre plusieurs jours, semaines, mois à être traitées par des ordinateurs classiques, les systèmes de l’informatique quantique le traiteraient en quelques secondes.

Malheureusement, cette technologie impose de maintenir l’état quantique pour atteindre de telles capacités de calcul, le problème étant que cet état ne peut être atteint qu’en plaçant l’ordinateur proche du zéro absolu, soit -273 °C, seules températures pour lesquelles le qubit est réellement stable. De manière évidente, il est extrêmement complexe de maintenir de telles températures avec un système simple, peu onéreux et peu encombrant pour une longue période de temps.

 

L’informatique quantique comme outil de sécurité

Les apports de l’informatique quantique en matière de capacité de résolution et de traitements rapides d’opérations complexes sont très convoités, et principalement dans le domaine de la sécurité informatique, où les mesures de protection et de détection nécessitent de plus en plus de rapidité d’exécution.

Par exemple, la lutte contre la fraude est aujourd’hui l’une des principales problématiques de sécurité du secteur bancaire et a pour enjeu d’exploiter des techniques poussées de détection de fraude, basées sur la collecte, le traitement et l’analyse, en temps réel, de données volumineuses. Ces techniques sont très gourmandes en puissance de calcul et, bien qu’aujourd’hui réalisables par nos ordinateurs les plus performants, elles pourraient être encore plus efficientes avec plus de puissance. Les ordinateurs quantiques, s’ils voient le jour, pourraient ainsi constituer un pilier de la lutte contre la fraude, à travers leur forte capacité (théorique) de stockage et leur rapidité de traitement.

De même, les systèmes quantiques pourraient notamment permettre de détecter et de corriger les erreurs. En effet, le qubit, sur lequel repose tout le fonctionnement de cette nouvelle génération informatique, est en effet très sensible aux perturbations de son environnement (interception, changement de configuration, variations de température, champs magnétiques…). Le qubit peut constituer ainsi, dans ces conditions, un moyen fiable pour garantir l’intégrité des données stockées.

 

L’informatique quantique comme source de menace

Les communications sécurisées, les systèmes sécurisés de paiements, les transactions financières, les monnaies virtuelles telles que le bitcoin, reposent tous sur des mécanismes cryptographiques, et en particulier sur les protocoles de chiffrement asymétriques. La sécurité de ces protocoles dépend principalement du fait qu’il faudrait plusieurs fois l’âge de la Terre à des ordinateurs classiques pour casser une code par la « force brute ». Pour un ordinateur quantique, ce décryptage est théoriquement réalisable et en très peu de temps. D’où le risque non négligeable pour les systèmes de chiffrement actuels si ces ordinateurs quantiques venaient à être démocratisés.

De plus, plusieurs attaques informatiques telles que les attaques par déni de service (DOS ou DDOS) nécessitent d’exploiter de fortes ressources en termes de traitement informatique qui, à l’aide des futurs ordinateurs quantiques, pourraient devenir facilement exécutables.

C’est précisément pour ces raisons que les instigateurs de l’informatique quantique se focalisent notamment sur le domaine de la sécurité afin de combler les failles qui pourraient potentiellement être occasionnées par l’apparition des ordinateurs quantiques, et espérant ainsi offrir des communications totalement sécurisées aux utilisateurs, en misant sur la cryptographie quantique. En effet, un réseau de communication quantique serait théoriquement inviolable. Toute tentative visant à intercepter la « clé de chiffrement quantique » modifierait l’intégrité physique des données quantiques, changerait alors leurs états (passage au 0 ou au 1 par exemple), et pourraient ainsi déclencher une alerte qui avertirait les personnes concernées. Actuellement, plusieurs laboratoires dans différents pays tentent de tirer le meilleur parti de cette technologie.

Par ailleurs, l’histoire nous a montré que lorsqu’un protocole de chiffrement était devenu « cassable », des solutions de chiffrement plus sécurisées voyaient le jour au même moment. On peut donc imaginer que si un jour un ordinateur quantique permet de casser un chiffrement « classique », une solution de chiffrement plus robuste, potentiellement basée sur la cryptographie quantique, sera disponible.

 

L’informatique quantique, concrètement…

Dans l’état actuel des recherches, tous ces concepts restent théoriques et seuls quelques embryons d’ordinateurs quantiques existent dans le monde, confinés encore à des laboratoires académiques, au sein des institutions les plus prestigieuses. Une quête dans laquelle IBM et Google se sont déjà lancés depuis plusieurs années. Intel a également rejoint la course à l’informatique quantique en annonçant investir 50 millions de dollars sur le sujet. La France n’est pas en reste, avec notamment le Laboratoire Kastler Brossel qui a reçu récemment un troisième Prix Nobel pour des travaux allant dans ce sens.

Du reste, les avis divergent sur cette nouvelle génération de l’informatique : Le National Institute of Standards and Technology (ou NIST) américain a prévenu que les différentes agences gouvernementales devront être prêtes à adopter de tels systèmes en 2025.  La NSA, l’agence nationale de la sécurité, conseille de mettre en place des processus de sécurité quantique aussi rapidement que possible. A l’opposé, certains cryptographes ne partagent pas cet avis, et ont déclaré lors de la dernière Conférence RSA qu’ils doutent que les progrès dans le calcul quantique et l’intelligence artificielle transformera réellement la sécurité informatique. Aussi, Eleni Diamanti, chercheuse au CNRS et membre de Paris Center for Quantum Computing, affirme pareillement que « même si un qubit est plus puissant qu’un bit, il en faut au moins un millier pour concurrencer les machines actuelles », ce qui est loin d’être concrétisé aujourd’hui, au vu de la complexité de création d’un qubit et de maintien dans des conditions stables.

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