L’Écotaxe : un “mal” nécessaire pour le secteur du transport ?

En mars dernier, de nombreuses régions françaises dépassaient le seuil d’alerte de pollution. Et bien que le printemps soit propice à de tels épisodes, même le Laboratoire Central de la Surveillance de la Qualité de l’air s’inquiétait de l’intensité du phénomène. Parmi les causes mises en avant, le transport routier notamment les véhicules roulant au « diesel ». Les médias ont du reste mis l’accent sur l’émission de particules fines et la mesure de circulation alternée. La pollution est désormais au cœur des préoccupations écologiques. La priorité : la mise en place de mesures efficaces sur le long terme. Une priorité qui risque de prendre un sacré coup après la récente annonce de l’abandon du dispositif Écotaxe par Ségolène Royale.

Un transport routier particulièrement polluant

Selon Air Parif, le trafic routier représente environ 1/4 des émissions polluantes liées à l’activité humaine en IdF et plus généralement 40 à 85%* des émissions de particules en ville. De ce fait et compte tenu des conditions météorologiques, l’accroissement du flux routier ne fait qu’accentuer cette pollution. Lors du dernier épisode d’alerte, le pic avait été atteint le 14 mars 2014 (139 µg/m3 en PM10 (particules fines) sur la station Autoroute A1 – Saint Denis), dépassant largement le seuil d’alerte (80 µg/m3).

Plus globalement, on sait que le transport routier représente 95% des émissions de gaz à effet de serre (GES) contrairement au ferroviaire (0,4%). Ce ratio explique aisément que les pouvoirs publics veuillent drastiquement réduire la pollution routière en favorisant d’une part l’utilisation des transports en commun et en privilégiant d’autre part les modes de déplacement alternatifs.

Des initiatives onéreuses, pas toujours bien perçues… mais aux effets positifs en matière de mobilité citoyenne

Si l’équation environnementale n’a pas fini de se complexifier, il y a aujourd’hui urgence à prendre des mesures clés pour limiter la pollution. Tous les acteurs (élus, citoyens, usagers, autorités publiques, transporteurs, opérateurs, offreurs / intégrateurs de solutions informatiques…) semblent l’avoir compris, car les 1ères initiatives ont vu le jour : certaines « progressives » pour accompagner le changement en douceur, d’autres plus « immédiates » et se confrontant plus souvent à des mouvements de protestation.

Revenons sur l’exemple du mois de mars 2014 à Paris. Une1èremesure dite « d’urgence » à l’initiative des autorités locales (mairie de Paris, préfecture de Police, région IdF) consistait à rendre gratuits les transports en commun pour inciter les automobilistes à renoncer à leurs véhicules. Une opération onéreuse d’environ 4 M€ par jour, selon Jean-Paul Huchon, le président de l’autorité organisatrice des transports franciliens (STIF). Mais qui ne s’arrête pas là puisque la mesure s’est vue complétée par l’extension de la gratuité aux systèmes de location Vélib’[1] et Autolib.

L’État a également mis en place un dispositif de restriction pour limiter les effets négatifs du trafic automobile : la circulation alternée. Les objectifs recherchés ? Fluidifier le trafic et améliorer la qualité de l’air. Efficace ? Le bilan est en fait assez mitigé suivant les années (ie.octobre 1997, baisse de 20% des dioxydes d’azote dans le centre de Paris selon Airparif) et les modalités d’application. Ces dernières sont en réalité souvent complexes à mettre en œuvre sur le terrain (amendes, immobilisation du véhicule…) et souvent mal interprétées par les usagers qui les perçoivent comme répressives et non préventives.

Pour autant, la circulation alternée a considérablement boosté les locations de véhicule et le covoiturage dont l’enjeu est de taille. Tout véhicule transportant au moins trois passagers était en effet autorisé à circuler durant cette période. Ainsi, le site blablacar a enregistré un accroissement de 17% des offres en IdF, alors que les demandes grimpaient de 42 %. A court terme, on peut légitimement imaginer l’utilisation massive des sites de covoiturage et de location de véhicules entre particuliers comme des alternatives crédibles en vue de limiter les émissions de GES.

La conséquence de ces nouveaux usages est l’émergence d’un marché de la mobilité citoyenne. Comme en témoigne l’application de covoiturage WayzUp qui offre dorénavant pour les automobilistes une solution de mobilité travail/domicile efficace. À noter que le ce système a été récemment récompensé lors du dernier Salon Transports Publics 2014.

Une « Écotaxe » qui de son côté continue à jouer à l’arlésienne

Point d’orgue de ces mesures anti-pollution : l’écotaxe, redevance kilométrique proportionnelle à la distance parcourue et applicable aux véhicules de transport de marchandises de plus de 3,5 tonnes nationaux et étrangers circulant en France sur certaines routes[2]. Ses objectifs ? Diminuer les effets du transport routier par le report modal (transport fluvial, ferroviaire) et ainsi contribuer au financement des travaux de rénovation des infrastructures routières.

Depuis le début des débats, la fameuse « taxe poids lourds » ou « péage de transit poids lourds », reportée à maintes reprises suite aux derniers remaniements ministériels, était jusqu’alors en passe de subir un nouveau lifting jusqu’à son adoption prévue au 1er janvier 2015.

Pour ce “nouveau” dispositif, le champ d’application devait être fortement réduit (4000 km de réseau routier contre 15000 km dans la version initiale) et la redevance collectée moins forte que prévue (500 M€ brut chaque année). Le procédé était par ailleurs complété par 8 mesures « immédiates » qui devaient permettre de remettre le secteur du FRET sur les rails puis de faire reculer le trafic des poids lourds et véhicules utilitaires légers (dont la part d’émission de GES, en constante augmentation, représente aujourd’hui 42% du transport routier).

Ces mesures devaient inciter à revoir en profondeur les modes de gestion de l’information des entreprises de transport routier. En effet elles devaient adapter les systèmes existants pour prendre en charge ces nouvelles contraintes et intégrer de nouvelles fonctionnalités. L’objectif à termes étant d’absorber les charges supplémentaires/surcoûts générés par les nouvelles mesures anti-pollution (carburant, ressources et parc de véhicules) et innover en matière de gestion de flotte.

Le modèle devait par exemple s’appuyer sur des solutions embarquées de télétransmission d’information (parcours, vitesse, consommation, durée, comportement du conducteur…) interconnectées au plan de transport afin d’optimiser les trajets, les durées de maintenance et les temps de parcours. Par ailleurs la remontée automatique des données fiables devait enrichir la connaissance opérationnelle de l’activité dans les systèmes ERP (facturation paiement, gestion RH…).

Cette tendance va notamment soulever la question de l’interopérabilité des équipements embarqués GPS, télépéage et de SI facturation. Comment les systèmes doivent-il cohabiter pour échanger de manière fluide les données ? Doit-on procéder à une normalisation des échanges entre les systèmes ERP et les solutions ITS (Information Transport System) ?

Quid de nos voisins européens ?

Nos voisinsréfléchissent eux aussi à des dispositifs pour contenir la pollution au sein de leurs grandes métropoles. Londres, Stockholm ou Milan mettent en œuvre des péages afin de limiter l’accès au centre-ville des véhicules les plus polluants ; Berlin a créé des « low emission zones (LEZ) » et interdit l’accès au centre-ville pour ces véhicules.

Contrairement à la France, les pays nordiques jouent la carte de la prévention et de l’action incitative. Ils privilégient l’usage des véhicules propres/électriques et des pistes cyclables. Ces dispositions contrastent avec les mesures prises du côté français.

Du reste, les dernières élections municipales ont permis de dresser un bilan positif de l’évolution de la part modale des transports doux depuis 2008.

En effet on constate selon l’étude du Club et Villes/Territoires Cyclables que les investissements se poursuivent dans ce domaine (budget alloué, constructions de pistes et aménagement du territoire, etc..).

Concrètement, le kilométrage des pistes cyclables atteint des records à l’échelle nationale avec désormais plus d’un kilomètre pour 1000 habitants dans la plupart des villes et la fonction de « chargés de mission » surnommés « Monsieur ou Madame Vélo » est de plus en plus visible dans les organisations.

Néanmoins, cet engouement masque aujourd’hui une inadéquation entre les budgets alloués et les ambitions affichées (5,9€ par an / habitant en moyenne selon CVTC) et des disparités de politique urbaine selon les agglomérations. Paris et Lyon font figures de mauvais élèves en matière d’aménagement cyclable par habitant.

Et demain ?

Toutes les initiatives anti-pollution restent sur le principe bénéfique pour la communauté.  Cependant aujourd’hui ces mesures ne s’inscrivent pas au sein d’une démarche globale et cohérente impliquant les principaux acteurs du transport. Pour faire aboutir cette démarche, il faut un travail de concertation à tous les niveaux. 

Nous savons que les épisodes de pollution se renouvelleront et l’enjeu sera d’éviter de lancer des mesures d’urgence dès que l’on atteint un seuil d’alerte maximal. La mise en pratique des dispositions est encore trop subie comme une contrainte forte (i.e : ecotaxe), ce qui a d’ailleurs poussé à l’annonce du gouvernement ce matin.

L’examen des principales questions et des solutions environnementales (véhicule diésel, écotaxe, circulation alternée, zone 30…) doivent se concrétiser par un véritable programme antipollution regroupant une série de dispositions concrètes dont les modalités d’application sont simples et efficaces vu de l’usager et du transporteur. Par ailleurs il sera nécessaire de déployer de manière progressive ces mesures à l’échelle nationale sur une durée permettant un retour d’expérience et des ajustements immédiats. Il faudra également étudier un scénario visant à mettre à contribution d’autres acteurs de la chaîne du transport comme les sociétés de concessions d’autoroutes.

Pour plus d’informations sur le sujet, consultez Transport Shaker, le blog transport des consultants Solucom


[1] Pour le système Vélib*, cette mesure a suscité plusieurs mises en garde, la principale correspondait à l’importante exposition aux particules fines durant l’effort physique. Aussi il a été vivement déconseillé par les experts de Santé Publique d’utiliser le Vélib durant les pics de pollution.

[2] Les routes concernées sont celles non soumises à un péage : les nationales et départementales par exemple

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