Sommes-nous entrés dans l’ère des cyberguerres ?

C’est une réalité : depuis le début du XXIème siècle, le cyberespace est devenu le théâtre d’intenses affrontements virtuels. La Chine et la Russie sont suspectées de dérober régulièrement des secrets industriels et militaires en Europe et aux États-Unis, alors que ces derniers espionnent la planète entière, y-compris parfois leurs propres alliés.
Serions-nous donc entrés dans l’ère des cyberguerres ? Ce terme souvent exagéré est de plus en plus employé par les médias. Mais correspond-il vraiment à la réalité d’aujourd’hui ?

Indubitablement, nous sommes entrés dans l’ère des cyberconflits

Les incidents cyber ont beaucoup occupé l’espace médiatique ces dernières semaines.
Le piratage de Sony a pour sa part marqué un tournant dans la portée des attaques informatiques. Celui-ci a détruit la quasi-totalité du système d’information de l’entreprise et a contraint ses employés à revenir au papier et au crayon pour travailler. Une vaste partie des données internes de l’entreprise a également été mise en pâture sur Internet. Jusqu’alors, le but de telles attaques était généralement de dérober des capitaux ou des secrets industriels. Mais dans ce cas, l’objectif était clairement de mettre l’entreprise à genoux. L’affaire a d’ailleurs pris un tournant politique, les États-Unis ayant ouvertement accusé la Corée du Nord de l’attaque.

Les conflits cyber entre États sont largement répandus aujourd’hui. En 2007, des sites du gouvernement, de banques, médias et opérateurs téléphoniques estoniens ont été victimes d’attaques par déni de service. La Russie est fortement soupçonnée d’être à l’origine de ces offensives ayant paralysé le pays. En 2013, ce sont les systèmes d’information de banques et de chaînes de télévision sud coréennes qui ont été bloqués par des attaques émanant de Corée du Nord. Plus récemment, l’opération djihadiste #OpFrance, qui visait à défacer un maximum de sites français, a montré à tous que désormais les conflits se propagent également dans le monde virtuel.

Pour le département de la Défense des États-Unis mais aussi pour le Ministère de Défense en France, le cyberespace est d’ailleurs devenu un cinquième domaine d’intervention, après l’air, la terre, la mer et l’espace. L’espace cyber est donc clairement devenu un terrain de luttes permanentes…mais ces affrontements peuvent-ils être considérés comme des actes de guerre ?

Qu’est-ce que la cyberguerre ?

L’importance d’une définition précise du terme de « cyberguerre » n’est pas uniquement d’ordre linguistique. Derrière cette notion se cache un ensemble de questions juridiques et diplomatiques complexes. L’état de guerre impose en effet l’application de régimes légaux et de règles de rapports mutuels entre États bien spécifiques. Dans le cas de l’attaque contre Sony, Barack Obama a fait redescendre la tension en précisant qu’il ne s’agissait pas d’un acte cyberguerre mais plutôt de « cybervandalisme ». Et cette nuance n’est pas dénuée d’importance : en cas de guerre avérée, les clauses des contrats d’assurance auraient empêché toute indemnisation de l’entreprise !

La question de la contre-attaque se pose également : à partir de quand est-elle autorisée, et quelles formes peut-elle prendre ? Quels objectifs peuvent légitimement être visés par des cyberattaques ? Ce sont précisément les questions auxquelles a tenté de répondre en 2012 le Centre d’excellence de cyberdéfense coopérative de l’OTAN (CCDCOE) de Tallin, en publiant un manuel juridique de cyberguerre. La position défendue est que de manière générale, le Droit des conflits armés établi lors des conventions de La Haye et de Genève s’étend au monde cyber.

Une attaque informatique pourrait donc constituer un acte de guerre si ses conséquences sont comparables à celles d’un conflit armé traditionnel, c’est-à-dire si son but est de « de blesser ou tuer des personnes, ou d’endommager ou détruire des objets ». Cela signifie qu’une cyberattaque serait un acte de guerre à partir du moment où elle a des répercussions directes sur le monde physique.

Et c’est précisément le cas des attaques contre les systèmes d’information industriels, qui pilotent les systèmes de production de grands groupes manufacturiers, ou des infrastructures telles que des réseaux électriques ou des barrages. De telles agressions pourraient avoir un lourd coût humain et environnemental, et c’est pourquoi les États imposent souvent des mesures de sécurité strictes à leurs Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) ou aux sites dangereux classés Seveso. En France, les travaux en cours sur la Loi de Programmation Militaire visent à préciser ces exigences. Le manuel entend également fixer des limites éthiques à la cyberguerre. Il préconise par exemple l’interdiction d’attaquer des hôpitaux ou des centrales nucléaires.

Attaques de SI industriels

Les rédacteurs du manuel de Tallinn estiment qu’« aucun incident n’a été de façon claire et publique caractérisé par la communauté internationale comme ayant atteint le seuil d’une agression armée ». Pourtant, les attaques contre les systèmes d’information industriels sont aujourd’hui une réalité. En 2013 par exemple, des pirates se sont introduits sur le réseau de production d’une aciérie allemande et ont détruit plusieurs équipements en arrêtant les hauts fourneaux de façon inopinée.

Mais c’est sans conteste l’infection de systèmes de contrôle de turbines et de centrifugeuses d’enrichissement en uranium iraniennes par le ver Stuxnet qui ressemble le plus à un acte de cyberguerre. Ce malware d’une complexité inédite aurait été mis au point par Israël et par les États-Unis, et a considérablement retardé le programme nucléaire iranien. Si le CCDCOE ne considère pas cette attaque comme un acte de guerre, les experts sont divisés sur la question et certains considèrent qu’il s’agit d’un recours à la force illégal selon le droit international.
Par ailleurs, les principes de proportionnalité des contre-attaques et de protection des populations civiles préconisés par le droit international sont difficiles à respecter en cas de cyberguerre. Les attaques sont généralement difficiles à confiner : dans le cas de Stuxnet, le ver a été retrouvé en Chine, en Allemagne et en Indonésie.

Certains considèrent qu’une nouvelle législation est à mettre en place pour cadrer les affrontements cyber. Le sommet de l’OTAN au Pays de Galles en 2014 a d’ailleurs fait ressortir des positions différentes de celles défendues dans le guide de Tallinn. Il a été affirmé que « les cyberattaques peuvent atteindre un seuil susceptible de menacer la prospérité, la sécurité et la stabilité des États et de la zone euro-atlantique [et] leur impact sur les sociétés modernes pourrait être tout aussi néfaste que celui d’une attaque conventionnelle ». Comment en effet ne pas parler de guerre dans le cas d’une attaque d’une place financière, qui pourrait provoquer une crise économique aux conséquences catastrophiques ?

Ces désaccords montrent à quel point les limites restent floues. Les lois internationales sont généralement dictées par la conduite et par les réactions des États : les véritables règles de la cyberguerre mettront du temps à être établies et risquent d’évoluer avec le temps. Quoi qu’il en soit, nous observons dès à présent que les Systèmes d’Information d’importance vitale seront des cibles privilégiés de ces conflits nouveaux. La mise en œuvre de stratégies de cyberdéfense apparaît donc comme un impératif pour les entreprises et les États, qui ne doivent pas attendre la survenue d’une véritable cyberguerre pour se protéger.

 

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