Choc extrême : comment se préparer à une crue centennale en Île-de-France ? (2/2)

Nous l’avons vu dans la première partie de cet article, le scénario d’une crue centennale identique ou supérieure à celle de 1910 est aujourd’hui le scénario de catastrophe majeure le plus probable en Île-de-France. Même si Paris est maintenant mieux protégée qu’en 1910, elle est également plus vulnérable sur certains aspects. En effet, cette crise, multiple et complexe, couperait l’Île-de-France en trois zones isolées, affecterait plus de 300 communes et toucherait tous les réseaux d’opérateurs essentiels pour la vie économique et sociale de l’Île-de-France qui seraient rendus en grande partie indisponibles.

Au vu de ces multiples impacts, une simple réponse « individuelle » de chaque organisation – bien que nécessaire – n’est pas suffisante. Une réponse collective doit également être apportée pour adresser l’ensemble des problématiques. En effet, au niveau individuel, chaque acteur doit se préparer à la crise à travers la mise en place d’un Plan de Continuité d’Activité dédié, adapté à ses métiers et aux spécificités de la crue centennale.

Focus sur la préparation individuelle : les quatre volets du Plan de Continuité d’Activité « choc extrême »

Nombreuses sont les entreprises disposant d’un Plan de Continuité d’Activité pour faire face à différents sinistres ou événements pouvant impacter leur fonctionnement : indisponibilité d’un site, panne de SI, grève de collaborateurs… La crue centennale de la Seine a la particularité de toucher toutes ces ressources en même temps. Il est donc indispensable d’adapter les PCA habituels pour prendre en compte les particularités d’une crue.

Ressources humaines

La crue centennale aurait un impact important sur la disponibilité des salariés des entreprises en Île-de-France.

Tout d’abord, la conséquence directe de l’indisponibilité des transports en commun et des axes routiers entraînerait de grandes difficultés de déplacement pour les collaborateurs. À noter qu’au pic de crue, l’Île-de-France serait scindée en trois zones « infranchissables ».

Il faut également prendre en compte les situations particulières et personnelles des collaborateurs qui auraient un impact sur leur capacité à rejoindre les locaux ou les sites de repli (logements inondés, écoles fermées…).

L’indisponibilité des moyens de circulation et les contraintes personnelles des salariés entraîneraient donc un impact fort sur le taux d’absentéisme dans les entreprises, qui pourrait atteindre entre 50% et 70%. Ainsi, le sujet de l’organisation et de la gestion du personnel doit être étudié en prenant en compte l’aspect dynamique de l’absentéisme (un collaborateur absent un jour donné pourrait être présent le jour suivant et inversement) :

  • déterminer les fonctions et hommes clés nécessaires à la continuité d’activité et instaurer leur suppléance (sous-traitance, intérim…) ;
  • acheminer le personnel mobilisé sur les sites de repli ;
  • prévoir hébergement et restauration…

 

Prestataires de Services Essentiels Externalisés

Comme les autres acteurs économiques, les Prestataires de Services Essentiels Externalisés (PSEE) verraient eux aussi leurs activités compromises par la crue. Il est donc primordial de ne pas négliger la dépendance vis-à-vis de ces fournisseurs, aussi bien en amont de l’activité (matières premières, services…) qu’en aval (distribution…). Des engagements contractuels visant à garantir l’acheminement des biens ou la fourniture de services en cas de sinistre doivent donc être définis et contrôlés (audit, contrôle qu’un test annuel a été réalisé…)

Sites / Locaux / Logistique

Les locaux des entreprises (siège, agences…) pourraient être rendus indisponibles pendant plusieurs semaines. Il est donc indispensable de mettre en place une stratégie de repli prenant en compte les spécificités de la crue : séparation de l’Île-de-France en trois zones, difficultés de déplacement, perturbation des accès télécoms… une crise pouvant durer plus d’un mois. Ainsi, la stratégie de repli doit :

  • identifier des sites à risque ;
  • choisir un site de repli accessible aux collaborateurs ;
  • définir des ressources matérielles indispensables pendant la durée de crise ;
  • assurer l’acheminement des ressources pendant la durée de la crise…

 

Systèmes d’information

Le Plan de Continuité Informatique est une des composantes essentielles du PCA. Données, serveurs d’application, infrastructure réseau… le secours de ces ressources critiques potentiellement menacées par une crue de la Seine est également une priorité.

Nombreuses sont les entreprises qui disposent de datacenters en dehors de l’Île-de-France. Toutefois deux éléments majeurs sont à prendre en compte lors d’une crue. Tout d’abord, la capacité des collaborateurs à se connecter aux ressources informatiques de chez eux ou des sites de repli compte tenu des perturbations télécoms susmentionnées. D’autre part la sécurisation des ressources informatiques locales (applications locales, serveurs de fichiers…) stockées dans les sièges des entreprises qui seront inondées.

Focus sur la préparation collective : l’exercice « EU SEQUANA 2016 », simulation d’une crue centennale de la Seine grandeur nature

Présentation de l’exercice EU SEQUANA 2016

L’exercice EU SEQUANA 2016 est un exercice « grandeur nature » qui met l’accent sur la coordination entre les différents secteurs d’activités de la vie économique francilienne ainsi que sur la coordination des organes de gestion de crise publics qui seront activés pour l’occasion (les collectivités territoriales locales, le niveau zonal/régional/départemental, le niveau national et l’Union Européenne via son Mécanisme Européen de Protection Civile).

L’exercice mobilisera donc de nombreux acteurs publics et privés pour un exercice inédit avec plus de 90 entités participantes : secteur financier, assureurs, opérateurs télécom, transports, énergies, forces armées, administrations…

Il consistera en un déploiement simultané des Plans de Continuité d’Activité et des dispositifs de gestion de crise de chaque participant. L’objectif est de simuler la réponse à la crise de la manière la plus réaliste possible, les opérateurs des réseaux vitaux (transports, énergie…) alimentant directement les participants en stimuli.

Déroulé et objectifs de l’exercice

L’exercice aura lieu en mars 2016 et se déroulera sur 14 jours calendaires. La première semaine – du 8 mars au 11 mars 2016 – aura lieu la phase « Crue » de l’exercice. Chaque journée sera dédiée à un niveau d’eau différent, les participants devront évaluer les impacts et prendre les décisions adéquates pendant cette phase. Objectifs principaux pour les participants : anticiper la montée des eaux à venir et gérer les premiers impacts constatés.

Le weekend du 12 et 13 mars 2016, le pic de crue sera atteint, ce qui déclenchera les dispositifs opérationnels prévus en cas de crue de la Seine, notamment la collaboration européenne.

La seconde semaine – du 15 au 18 mars 2016 – aura lieu la phase « Décrue » de l’exercice. Objectifs principaux des participants : travailler sur le retour à la normale et la résilience des réseaux.

La différence sur l’organisation des deux phases de l’exercice tient dans les hypothèses de travail dont disposeront les différents acteurs. En effet, de nombreuses simulations et études ont permis d’établir des hypothèses de travail à partir desquelles évaluer de façon réaliste les impacts d’une crue de la Seine. A l’opposé, la phase de « Décrue » ne dispose pas de travaux aussi poussés en la matière.

Cet exercice est donc une occasion inédite pour l’ensemble des participants de relever 3 défis majeurs :

  • réussir la coordination des cellules de crise internes de chaque participant avec les cellules de crise externes qui seront activées ;
  • mobiliser l’ensemble des acteurs pour produire un scénario le plus réaliste possible ;
  • nouer des relations entre acteurs de secteurs différents pour faciliter la coordination de la réponse.

Mais il faut bien être conscient que SEQUANA ne sera pas forcément un aboutissement en tant que tel mais bien le début d’une prise de conscience généralisée qui aura des effets bénéfiques sur les années à venir.

Le scénario de crise d’une crue centennale est un excellent scénario pour renforcer la résilience de son entreprise, des processus et des collaborateurs tant les impacts sont globaux et la complexité des solutions à mettre en œuvre est importante. Toutefois, malgré toutes les préparations et anticipations possibles, il faut rappeler que ce scénario dispose de nombreux aléas et d’inconnues imposant à chaque acteur d’adapter les dispositifs si la crise survenait. Ainsi, une stratégie d’exercices doit être mise en place afin de tester les PCA, mais également pour renforcer la résilience de l’organisation et des personnes qui devront, le jour de la crise, adapter les dispositifs prévus.

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