Cambridge Analytica, quels enseignements peut-on en tirer ?

Le scandale Cambridge Analytica ébranle Facebook. Avec la fuite des données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook vers la société privée Cambridge Analytica, ce sont les pratiques parfois peu scrupuleuses des géants de la Silicon Valley qui sont révélées au grand jour. Les répercussions de cette affaire se font déjà ressentir (appels au boycott, CEO de Facebook auditionné au Sénat américain, etc.). Mais que peut-on déjà retenir de cette affaire ?

Rappel des faits

Cambridge Analytica est un cabinet spécialisé dans l’analyse de données ; l’entreprise a pour ambition de disposer d’une large base de données d’utilisateurs et ainsi revendre ses analyses et le profilage de différentes personnes à ses clients.

Dès lors, Aleksandr Kogan, psychologue sous contrat de prestation pour Cambridge Analytica, crée une petite application Facebook contenant un quiz de personnalité. Afin de réaliser ce test de personnalité, les utilisateurs de l’application doivent donner accès à leurs données Facebook ainsi que celles de leurs « amis » au psychologue. Il indique toutefois à Facebook et aux utilisateurs que leurs données ne sont collectées qu’à des fins de recherche.

Très rapidement, Kogan collecte les données Facebook de 87 millions de personnes à partir d’une base de 270 000 utilisateurs de son application. Kogan transmet ensuite à Cambridge Analytica l’ensemble de sa base de données à des fins de catégorisation en différents profils, trompant ainsi les utilisateurs sur l’utilisation de leurs données.

Qu’est ce qui pose problème dans ce transfert de données à Cambridge Analytica ?

En analysant cette affaire au regard des principes du RGPD, le fameux règlement européen sur la protection des données à caractère personnel qui entre en vigueur le 25 mai prochain, deux points majeurs posent problème pour la protection de la vie privée dans ce transfert de données à Cambridge Anaytica :

  1. Le détournement de finalité de l’usage des données
  2. L’absence de consentement pour transférer ces données à Cambridge Analytica

Le détournement de la finalité de l’usage des données

En effet, lors de la collecte initiale des données, Aleksandr Kogan indiquait que ces données ne seraient utilisées qu’à des fins de recherche académique. En pratique, Cambridge Analytica a utilisé cette base de données pour faire du profilage des personnes concernées et proposer des campagnes publicitaires ciblées à la demande de ses clients. Les utilisateurs ont donc vu leurs données utilisées à des fins qu’ils n’avaient pas envisagées, engendrant un vrai sentiment d’intrusion dans la vie privée.

L’absence de consentement sur le transfert des données

Autant les utilisateurs du quiz de personnalité avaient donné leur consentement pour que leurs données soient transmises à un tiers, autant les « amis » de ces utilisateurs n’ont jamais consenti explicitement à cela. C’est donc tout le système de gestion des consentements utilisateurs de Facebook qui est en cause.

En 2015, cette « faille » a été révélée à Facebook qui l’a corrigée par la suite. Cette approche de correction a posteriori est la posture adoptée par Facebook depuis des années. Rappelons que le modèle initial du site était très ouvert, avec la possibilité de voir les profils de tous à sa création. Petit à petit, les paramètres de confidentialité sont arrivés pour la plupart suite à des incidents ultérieurs.

Une prise de conscience aux Etats-Unis sur la nécessité de protéger la vie privée des personnes

80% des personnes concernées par cette fuite de données sont des citoyens américains. Cette affaire a de nombreuses répercussions aux Etats-Unis. Surtout, les autorités américaines tout comme le grand public prennent conscience de la nécessité de protéger la vie privée des citoyens américains. Ainsi, Mark Zuckerberg, CEO de Facebook, a été auditionné au Sénat américain (une première pour lui, plus habitué à faire témoigner ses lieutenants) pour s’expliquer sur le scandale ; mais ce sont aussi les pratiques et le business model de Facebook qui sont remis en cause au Sénat (par exemple pendant l’intervention du Sénateur Richard Blumenthal lors des auditions de Mark Zuckerberg).

Des voix s’élèvent aussi aux Etats-Unis pour demander un durcissement des lois sur la protection des données personnelles, notamment sur l’obligation de collecter le consentement pour certains traitements de données à caractère personnel. Certains voudraient même que le RGPD européen soit transposé dans la législation américaine. Ainsi, deux sénateurs américains ont déjà proposé un projet de loi nommé CONSENT Act qui reprend quelques grands principes du RGPD (opt-in ou consentement actif obligatoire, notification des autorités de contrôle et de personnes concernées en cas de fuite de données, transparence, etc.).

C’est donc une véritable prise de conscience qui s’opère aux Etats-Unis sur le sujet de la protection des données personnelles. C’est un changement majeur dans un pays qui traditionnellement a une faible sensibilité sur ces sujets.

Les utilisateurs doivent rester vigilants sur leurs consentements donnés sur Facebook

Plus largement, c’est aussi la gestion des consentements des utilisateurs de Facebook qui fait débat. Même si Facebook propose désormais un nouveau centre de confidentialité qui permet de gérer finement les consentements accordés à chaque application, l’utilisateur doit rester vigilant quant aux consentements qu’il a donné. En accordant un consentement assez permissif à une application Facebook, celle-ci pourra réaliser des opérations qui auront un impact important sur la vie privée de l’utilisateur sans que cela ne soit interdit par la loi (au sens du RGPD).

Alors que l’entrée en vigueur du RGPD au 25 mai prochain approche à grand pas, cette affaire tombe à point nommé pour rappeler la nécessité de prendre en compte les enjeux de protection de la vie privée.

Et Facebook réagit donc fortement, en mettant en avant les principes du RGPD durant ses auditions au Congrès mais aussi en déclenchant une campagne de publicité ad hoc et en avertissant tous ses utilisateurs quant aux changements dans la gestion des consentements. Cela sera-t-il suffisant pour restaurer la confiance et être en conformité aux nouvelles réglementations ? L’avenir nous le dira mais le chemin promet d’être long

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