Y a-t-il un business model derrière le phygital ?

D’une manière générale, les business cases autour du digital sont souvent difficiles à établir à l’avance. Il s’agit d’usages en rupture, difficilement prévisibles. Le « phygital » n’échappe pas à cette règle ; les ROI (Return On Investment) sont par ailleurs « plombés » par une augmentation très significative des investissements, due aux équipements à déployer dans de nombreux points d’accueil clients (tablettes, bornes, espaces au design repensé, formation des vendeurs / conseillers…).

Des gains directs pas tou­jours faciles à tangibiliser

Au-delà des gains qualitatifs (image, modernité, adéquation avec les attentes de la clientèle…), quels gains quantitatifs tirer de ces investissements ?

  • Accroissement de la fréquentation des points de vente / agences.
  • Augmentation des ventes par client se rendant sur point de vente physique.
  • Augmentation des ventes / usages sur les dispositifs on-line.
  • Fidélisation / Réduction du churn (le terme anglais churn désigne la perte de clientèle ou d’abonnés).

La réponse semble positive sur un certain nombre de ces points. Les entreprises qui ont investi dans le phygital depuis plus d’un an commencent à avoir le recul suffisant et témoignent de quelques gains emblématiques.

Plusieurs banques ont ainsi expérimenté l’apport de la tablette dans l’entretien avec un client. Cet entretien côte à côte permet de faire un diagnostic plus poussé des besoins du client et d’y apporter une réponse plus personnalisée dans une réelle posture de conseiller financier. Les banques ayant testé ce dispositif mettent en avant une augmentation sensible du portefeuille d’offres souscrites sur le panel des clients ayant bénéficié de ce type d’entretiens, une augmentation au moins supérieure à 5% en moyenne.

Autre exemple : une enseigne de la grande distribution qui a installé des bornes de commande à côté des présentoirs des rayons électroniques et électroménagers a fait état d’une augmentation de près de 8% des commandes annuelles on-line des clients ayant utilisé cette fonctionnalité.

Le coût de l’inaction

La question du ROI pourrait également se poser autrement.
Que se passe­rait-il si les investissements n’étaient pas réalisés ? Certaines enseignes ont estimé qu’environ 10 à 15% des clients qui rentraient dans leur point de vente ne le faisaient que pour visualiser des produits qu’ils avaient repérés sur internet et qu’ils comptaient acheter en ligne une fois examinés dans le point de vente. Et pas forcément sur le dispo­sitif web de l’enseigne visitée.

Sécuriser l’achat de ces clients vola­tiles dès leur passage en point de vente devient donc un enjeu de conservation du chiffre d’affaires. Ces enseignes ont par exemple équipé les vendeurs de tablettes pour lancer avec le client les opérations de commande sur le site de l’enseigne dès que le dialogue avec le client a été entamé.

Une opportunité pour de nouveaux business models ?

Ces dernières années ont vu émerger de nouveaux business models, adaptés au monde numérique :

  • Gratuité contre données (profils utilisateurs Facebook).
  • Freemium, service dont le socle est en usage gratuit, le service complet étant lui payant (Spotify, Viadeo, Skype…).
  • Micropaiement, affiliation (Groupon, eBay…).

Ces modèles sont-ils transposables aux points de vente physique ? Le web peut-il inspirer le phygital ? Il semble­rait que certaines entreprises com­mencent à y réfléchir.

Citons plusieurs initiatives :

  • Prix préférentiels pour les clients qui viennent faire un diagnostic détaillé en point de vente / agence, ce diagnostic étant l’occasion de collecter des données qualifiées précieuses. À l’ère du Big data, récompenser le client qui permet d’enrichir la base de données va devenir une pratique courante.
  • Service après-vente étendu sur une période plus longue quand le produit est acheté en magasin.
  • Abonnement pour bénéficier d’offres promotionnelles disponibles en magasin comme sur les sites en ligne.

Ces initiatives sont certes encore timides et bien prudentes pour ne pas trop déstabiliser le modèle de distribu­tion physique, mais elles sont néan­moins intéressantes et traduisent la volonté des entreprises avec un réseau physique de faire aussi du phygital un outil d’innovation marketing.

Des KPI à mettre sous contrôle

On le voit bien, établir un business plan très fiable du phygital reste un exercice difficile. Pour atténuer cette difficulté, les entreprises qui réussissent dans le phygital se sont appuyées sur deux leviers forts :

Conduire des expérimentations poussées sur quelques points de vente. Pour être pertinentes, ces expérimentations doivent rendre les acteurs de l’accueil et la relation client très actifs et impliqués dans la préparation et la conduite de l’expérimentation (cela a été un facteur clé de succès à la SNCF). Il convient d’autre part de tirer parti au maximum de ces expérimentations pour enrichir les KPI (Key Performance Indicators), base du futur business case.

Augmenter significativement les moyens sur la mise en place d’indicateurs et l’analyse des données qui en découlent. Ces indicateurs doivent coupler physique et digital (profil des clients qui viennent en magasin, profil de leurs consommation web, rebond web après visite en point de vente…). Les moyens de collecter ces données doivent être prévus au préalable. Trop d’entreprises démarrent en effet l’expérimentation voire le déploiement avec de vraies lacunes en termes d’instruments de mesure. C’est bien de l’analyse de ces KPI que viendront des éléments pour affiner le business case et le rendre plus robuste.

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