Et si les machines assuraient leur propre cyberdéfense ?

C’est du moins l’avenir qu’envisage la DARPA, l’agence pour les projets de recherche avancée de défense américaine. Elle a organisé l’été dernier le Cyber Grand Challenge(CGC), un tournoi de d’attaque/défense cybersécurité (Capture The Flag) réservé aux machines. Sans intervention humaine, elles ont tenté de trouver des vulnérabilités dans les systèmes adverses tout en se défendant de leurs concurrents. Avec 2 millions de dollars à la clé, ce concours était l’occasion de faire avancer la recherche dans un terrain encore peu exploré.

Un concours digne d’une compétition sportive

Au Paris Hotel de Las Vegas, Nevada, s’est déroulé en août 2016 cet étrange concours digne d’une compétition sportive. Pendant près de 12 heures, d’imposantes machines, appelées Cyber Reasoning Systems se sont affrontées dans l’arène devant un public de 3000 personnes, auquel les présentateurs expliquaient les tentatives d’attaques et les corrections de vulnérabilités grâce à des représentations en 3D très parlantes. Organisé par la DARPA, ce concours avait un double but : valider le concept de cyberdéfense automatisée et stimuler la recherche en offrant 4 millions de dollars de prix, dont 2 à l’équipe vainqueur.

Selon Mike Walker, responsable du programme du Cyber Grand Challenge, les failles de sécurité exploitées dans la nature le seraient pendant 312 jours en moyenne avant leur détection et le temps médian de correction après détection serait de 24 jours. Un délai très long pendant lequel les systèmes restent vulnérables et que la DARPA souhaiterait voir réduit à quelques minutes ou secondes, en confiant aux machines la tâche de détecter et de corriger elles-mêmes ces failles de sécurité.

Depuis l’annonce du concours en 2013, la DARPA qui prend le sujet très au sérieux, y a investi 55 millions de dollars. 7 équipes aux propositions intéressantes ont été invitées à participer au concours en recevant une aide financière mais l’entrée restait ouverte à toute équipe auto-financée souhaitant relever le défi. En juin 2015, les qualifications ont eu lieu sur Internet pendant 24 heures au cours desquelles les équipes devaient trouver le maximum de vulnérabilités affectant 131 programmes. Sur plus de 100 équipes les 7 meilleures se sont qualifiées pour l’événement final, touchant 750.000$ au passage afin de s’y préparer. Parmi elles, 3 équipes financées par la DARPA et 4 équipes auto-financées.

Au bout de 12 heures de compétition acharnée, c’est Mayhem, le CRS de l’équipe ForAllSecure qui a remporté la victoire malgré une difficulté technique qui l’a empêché de soumettre des correctifs pendant une partie de l’épreuve. Mayhem a eu le privilège de pouvoir concourir au concours « normal » de la conférence DEFCON où s’affrontaient les meilleures équipes de hackers du monde entier. Mayhem est arrivé bon dernier de ce concours, mais à quelques points seulement de la dernière équipe humaine. Ce résultat peut être comparé à la progression des machines contre les humains aux échecs en conditions de tournoi : entre les premières victoires des machines contre des maîtres au début des années 80 et le moment où les machines parvenaient à battre des grands maîtres de façon régulière au milieu des années 2000, 25 ans se sont écoulés.

Si les machines talonnent aujourd’hui les meilleures équipes de hackers, de quoi seront-elles capables dans 10 ou 20 ans ?

Vers un monde plus sûr ?

David Brumley, CEO de ForAllSecure spinoff de l’université Carnegie Mellon, souhaite que dans le monde ultra connecté qui est le nôtre, chacun puisse avoir la garantie que les objets et les applications que nous utilisons soient sûrs, sans s’en remettre uniquement à leurs développeurs. Mais si le développement d’une cyberdéfense automatisée est une aubaine pour la société civile, on peut bien imaginer quelles implications offensives ces recherches pourraient avoir. Découvrir rapidement et en grande quantité des bugs dans des programmes fournirait autant de munitions à un état décidé à attaquer des systèmes d’organisations ou d’autres nations n’étant pas alignées avec ses intérêts. Et l’on peut être sûr que la DARPA, dont la vocation première est militaire, en a parfaitement conscience.

 

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