Le digital a-t-il réellement révolutionné la formation professionnelle ?

A l’heure où moins d’un salarié sur deux1 estime acquérir de nouvelles connaissances utiles dans le cadre de sa formation professionnelle, la révolution digitale représente une opportunité unique pour les entreprises : replacer la formation au centre du parcours professionnel. Des nouveaux outils de communication et de formation accessibles à tous font leur apparition, alors que l’enseignement traditionnel semble « condamné » à perdre du terrain. Le rôle de la fonction RH, et plus particulièrement de la formation interne, va nécessairement être bouleversé par ces nouveaux outils qui laissent de plus en plus de place à l’autoformation.

L’émergence des MOOC, TED, réseaux sociaux d’entreprise, ou encore Serious games peut-elle redynamiser la formation professionnelle ? L’enseignement dit traditionnel est-il véritablement voué à s’effacer au profit des outils issus du digital ? Quelle place pour la fonction RH sur le thème de la formation professionnelle ?

L’apprentissage : entre épisodes formels et informels

Si le format à privilégier est sujet à discussion, il existe à l’inverse un consensus autour du contenu nécessaire à une formation aboutie. Ce consensus repose sur une idée simple, matérialisée par un modèle : le 70/20/10. Développé au milieu des années 1990 par 3 scientifiques de l’université de Princeton, au sein du Center for a Creative Leadership2, ce modèle décrit le processus d’apprentissage et de formation autour de 3 épisodes distincts :

  • 70% de l’apprentissage résulte de l’expérience personnelle (expérimentation)
  • 20% des interactions avec son entourage (apprentissage social)
  • 10% des épisodes de formation formelle (apprentissage théorique)

Le 70/20/10 n’a pas vocation à constituer une règle absolue, mais il pose néanmoins « un cadre pour aligner les stratégies de formation avec le monde réel », selon Charles Jennings3, l’un des principaux promoteurs du modèle.

Du point de vue de l’individu, le constat est donc simple : 90% de nos savoirs et compétences proviennent  de phases d’apprentissage expérimental. C’est la formation dite « on the job ». Du point de vue de l’entreprise, le constat est cruel : les épisodes de formation théorique, qui représentent la majeure partie de leurs dépenses en la matière4, n’influent que sur 10% du processus global de l’apprentissage. Si l’on ajoute à cela la multiplication des canaux d’information, et la facilité d’accès aux données, on comprend les difficultés rencontrées par les départements formation pour définir leur stratégie.

Une offre pléthorique de nouveaux formats…

Si le mode de formation incontournable reste le présentiel (91% des collaborateurs ayant suivi une formation ont eu un module au moins en présentiel5), les services dédiés à la formation prennent peu à peu la mesure des nouveaux outils issus du digital pour étoffer leur offre. Le e-learning est désormais le deuxième vecteur de transfert de connaissances, et les formations mixtes, mêlant présentiel et distanciel, touchent près de la moitié des collaborateurs participant à un processus de formation.

Plus récemment, les MOOC (Massive Online Open Course), cours magistraux ouverts à tous, dispensés en ligne par des experts, sont entrés en phase de démocratisation. Ils répondent à la demande des collaborateurs, pour qui l’immédiateté et l’absence de contrainte logistique sont devenues primordiales. Toutefois, ce format initialement dédié à la formation universitaire peine à s’installer comme une solution crédible en entreprise, en raison d’un taux d’abandon très élevé. Le format COOC (Corporate Online Open Course) voit donc progressivement le jour, avec un contenu produit exclusivement par et pour les collaborateurs, pour assurer leur totale adhésion.

Les Serious Game ont de leur côté fait leur apparition, pour faire passer un cap à l’apprentissage en termes d’interactivité, et pour mettre en adéquation la formation professionnelle avec les codes de la génération Y. Les académies virtuelles sont également devenues une alternative viable aux campus de formation standard très coûteux.

Enfin, dans un registre plus propice aux interactions entre les collaborateurs, les réseaux sociaux d’entreprise (RSE) et les communautés de partage ont apporté un cadre aux échanges de savoirs et de compétences.

…mais une formation qui reste très théorique

Cette diversité dans les formats est bien sûr un point très positif dans l’amélioration de la qualité des formations dispensées en entreprise. Néanmoins, on observe deux tendances.

D’une part, l’aspect expérimental de tout apprentissage, mis en évidence par le modèle 70/20/10, n’est toujours pas couvert par l’offre de la formation interne.

D’autre part, les processus d’autoformation et d’interaction (RSE, MOOC, TED) issus du digital ne sont pas encore bien encadrés par la fonction RH. En résumé, plutôt que de créer des environnements d’apprentissage informels et propices à l’expérimentation, la révolution digitale a favorisé l’émergence de versions digitalisées de processus d’apprentissage figés.

Cela ne signifie pas que l’apprentissage informel est totalement délaissé, car au contraire, il a été largement stimulé par l’évolution des codes de l’entreprise, avec la diminution des lourdeurs hiérarchiques et l’apparition d’organisations plus réactives et horizontales. Cela signifie que la fonction RH a vu son champ d’action se restreindre en matière de formation, et son influence sur la gestion des parcours diminuer.

C’est le défi à relever pour la fonction RH : assumer sa position d’acteur principal sur le thème de la formation professionnelle. Quelques pistes sont à suivre pour y parvenir : encadrer les pratiques issues des nouvelles tendances managériales et digitales, et reprendre la main sur l’ensemble du processus d’apprentissage, de la théorie à la mise en pratique. Le digital est l’un des facteurs de réussite, c’est une évidence, mais il ne suffira pas de proposer une version digitale des formations théoriques classiques, ou de simplement encadrer le déploiement des outils collaboratifs. Il faudra exploiter au maximum les possibilités offertes par le digital et le Big data pour placer la mise en situation et l’interaction au cœur de la formation professionnelle.

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1 Baromètre Cegos : « La formation professionnelle en Europe »

2 Morgan McCall, Robert W. Eichinger, Michael M. Lombrado

3 http://charles-jennings.blogspot.fr/

4 Fédération de la Formation Professionnelle – Données et Chiffres clés –  www.ffp.org

5 Baromètre Cegos : « La formation professionnelle en Europe »

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