La due diligence « cyber », nouvel élément de valorisation d’une entreprise

En théorie, lorsqu’une entreprise est à vendre, son acheteur potentiel mène une phase d’investigations préalables qui lui permet de s’assurer de la conformité entre ce que l’entreprise annonce dans les documents qu’elle publie et la réalité : c’est la due diligence.

Celle-ci peut prendre différentes formes, mais historiquement, sont étudiés essentiellement les aspects suivants :

  • Finance et comptabilité : vérification des comptes, recensement du personnel, contrôle du bilan et du compte de résultat, de l’activité prévisionnelle, etc.,
  • Juridique : statuts de l’entreprise, procès en cours, détention de brevets et de propriétés intellectuelles, etc.,
  • Stratégie de l’entreprise (identification des concurrents, des forces de l’entreprise, de ses canaux de distribution, etc.

Bien que l’actualité soit riche d’exemples d’entreprises touchées par des cyberattaques, la question de la cybersécurité est encore bien trop souvent négligée lorsqu’il s’agit de fusions/acquisitions.

Mais la perception de ces enjeux est en train d’évoluer. Dans un récent sondage mené par le cabinet d’avocat Freshfields Bruckhaus Deringer, spécialisé en droit des affaires, 90% des répondants estiment qu’une cyberattaque avérée pourrait engendrer une réduction du prix d’acquisition de la cible, et 83% d’entre eux pensent qu’une attaque se produisant pendant la phase de due diligence pourrait conduire à un abandon total du deal en cours.

Le risque cyber est bien réel dans la mesure où, dès que deux systèmes d’information sont interconnectés, l’ensemble hérite souvent de facto du niveau de sécurité le plus faible des deux. À cela s’ajoutent les risques d’écarts réglementaires, alors que les régulateurs durcissent leur position partout dans le monde, et qu’une fusion/acquisition met la structure sous les feux des projecteurs.

L’évaluation du risque cyber : un pilier futur des fusions/acquisitions ?

De plus en plus conscientes de ce risque, les entreprises intègrent progressivement la notion de « risque cyber » à leurs stratégies de rapprochement. L’objectif est, en principe, simple : comprendre si le rapprochement des deux entreprises, et donc probablement de leurs systèmes d’information, augmente le risque de fuite d’information, d’attaque ou encore de non-conformité.

Il existe pourtant une différence majeure entre une due diligence classique et son pendant cybersécurité. Si les règles comptables et légales sont claires et partagées au niveau international, il n’existe pas encore d’équivalent dans le monde de la cybersécurité. Les standards se multiplient (par type de système ou de données à protéger, par industrie, par pays…), mais il s’agit de référentiels de bonnes pratiques indiquant comment bien mettre en œuvre sa cybersécurité, et non si elle a bien été mise en œuvre. Notons quelques exceptions notables, tels que les environnements certifiés PCI-DSS (protection des données de cartes bancaires), ou encore des environnements homologués de type Défense. Ces exemples sont cependant toujours des périmètres spécifiques et très limités.

Pour l’acquéreur, le fait d’agir en bonne foi et de ne pas être conscient de manquements en sécurité n’empêchera aucune cyberattaque : en risque cyber, on n’endosse pas seulement la responsabilité, mais bien directement le risque lui-même !

De la même manière, il n’est pas aisé (pour ne pas dire impossible) pour une entreprise de garantir que sa cybersécurité est « bonne ». Le fait d’avoir géré son système d’information « en bon père de famille » ne garantit pas qu’il ne constituera pas une faiblesse demain… où dans l’heure qui suit.

Le cadre des fusion/acquisitions n’est d’ailleurs pas le seul à présenter un intérêt à étudier les aspects sécurité d’un SI au travers d’une cyber due diligence. Depuis plusieurs années, les principaux assureurs internationaux ont lancé leur offre de cyber-assurance. Dans ce cadre, ils cherchent – légitimement – à connaître le niveau de sécurité informatique des entreprises qu’ils vont assurer, ou a minima à savoir quel niveau général de cyber-risque ils auront à couvrir. C’est ainsi qu’en amont de ce type de souscription, les cyberassureurs s’accompagnent aujourd’hui d’experts en sécurité informatique, dont le rôle est d’effectuer une due diligence à haut niveau.

Quelle démarche pour une due diligence cybersécurité ?

En quoi consiste une due diligence sécurité ? Il ne s’agit pas d’une nouvelle technologie ou d’une méthode révolutionnaire, mais de l’utilisation équilibrée et ciblée de différents outils de la cybersécurité.

Plusieurs approches sont possibles :

  • Une approche sur la base de questionnaires. Il s’agit alors uniquement de traiter les réponses à une série de questions, généralement avec des réponses à choix multiples. Au-delà du manque de profondeur d’une telle approche, son issue dépend fortement de qui répond au questionnaire et de la manière dont il est utilisé – bien souvent, il est malheureusement à peine lu.
  • Une approche par entretiens. Il s’agit d’évaluer la situation par rapport à un référentiel connu et adapté, lors d’échanges avec les responsables de la sécurité de l’entreprise considérée. La limite de cette approche est qu’elle ne se base que sur des déclarations, et n’apporte aucune preuve de ce qui est avancé. Menée par un expert rodé à l’exercice, elle permet tout de même rapidement d’avoir une vision générale sur le type de pratiques sécurité mises en œuvre.
  • Une analyse par des outils automatisés, qui vont découvrir les systèmes d’informations et essayer d’identifier des failles préexistantes. Si cette méthode n’est pas infaillible, elle permet d’obtenir rapidement une première évaluation du niveau de maturité de la structure.
  • Une approche « complète », constituée à la fois d’une analyse théorique et organisationnelle de la sécurité, mais aussi de tests d’intrusion permettant d’obtenir une vision la plus proche possible de la réalité. Cette approche, idéale dans l’absolu, est souvent utilisée dans le cas de rachats de start-ups, mais presque jamais dans le cadre de deals de plus grande envergure, pour des raisons à la fois de coût et de manque de temps.

Quelle que soit l’approche retenue, elle peut être rythmée en deux temps : une première analyse pour amener une connaissance et une compréhension du risque sécurité, et ainsi alimenter la réflexion sur le go/no go du deal ; une éventuelle seconde analyse, plus poussée, pour évaluer plus finement ce risque et décider de la mise en œuvre d’actions correctives.

La due diligence cyber : un élément de valorisation

Que ce soit pour l’acquisition d’une entreprise ou pour l’évaluation du risque pris par un cyberassureur, la due diligence doit donc être un élément qui favorisera la réflexion autour de la faisabilité.

Elle doit également constituer un élément de valorisation de l’entreprise dans la mesure où la mise en conformité de cette dernière par rapport aux bonnes pratiques du marché peut s’avérer coûteuse.

Elle permet, enfin, de déceler les aspects réglementaires à respecter, comme les lois touchant les entreprises vitales aux Etats (Loi de Programmation Militaire pour les OIV en France, et de nombreuses lois similaires dans le monde), et qui peuvent nécessiter un certain nombre d’adaptations à prévoir sur le système d’information de la cible, et/ou de l’acheteur.

A-t-on déjà vu des due diligences en cybersécurité mener à l’abandon d’un rachat ? Pas publiquement. On assiste plutôt à la correction rapide des manquements les plus graves identifiés, parfois à la décision de ne pas connecter certaines parties des systèmes d’information.

Auront-elles pour autant de réels impacts sur les transactions ? À cette question, Verizon a répondu avec un chiffre : en février 2017, l’opérateur a diminué son offre de rachat de Yahoo de 350 millions de dollars. Sur les 4,8 milliards initialement offerts, cela correspond à un peu plus de 7% de la valeur estimée.

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